Pourquoi le serrage est capital en implantologie
Lorsque l’on parle d’implantologie dentaire, beaucoup de patients pensent au titane de l’implant ou à l’esthétique de la couronne. Pourtant, un aspect souvent méconnu mais déterminant est le serrage de la prothèse définitive transvissée. Cette étape, réalisée à l’aide d’une vis et d’un couple de serrage précis, conditionne directement la stabilité mécanique, la durabilité de la réhabilitation et même la santé biologique autour de l’implant. La science a largement documenté ce sujet car les complications mécaniques liées aux vis de prothèse restent parmi les plus fréquentes dans la littérature implantaire. Un serrage trop faible ou trop fort peut mettre en péril l’ensemble du traitement, d’où l’importance d’une maîtrise rigoureuse des protocoles.
Le principe du torque et de la précharge
Le serrage d’une vis prothétique repose sur une notion mécanique appelée le torque, ou couple de serrage. Lorsqu’une vis est serrée avec une clé dynamométrique calibrée, elle subit une tension interne élastique qui génère ce que l’on appelle une précharge. Cette précharge n’est pas anodine : elle crée une force de friction entre la tête de la vis, l’implant et la prothèse. C’est cette friction qui empêche la vis de se dévisser sous l’effet des charges de mastication. Si la précharge est insuffisante, la vis se desserre avec le temps, créant des micro-mouvements délétères. À l’inverse, un excès de serrage peut entraîner une déformation plastique irréversible de la vis ou même sa fracture. La science insiste donc sur la nécessité d’un dosage précis et calibré, ce qui distingue le geste clinique de l’empirisme pour en faire une étape hautement technique.
Les valeurs recommandées selon la littérature
Dans la majorité des systèmes implantaires actuels, les fabricants recommandent un couple de serrage situé entre 25 et 35 Ncm pour les vis prothétiques en titane. Ces valeurs ne sont pas arbitraires mais issues de tests mécaniques et de calculs d’élasticité. Plusieurs études (Binon 2000, Siamos 2002) ont montré que le respect de ce torque recommandé réduit de manière significative les risques de desserrage. La mise en place d’un protocole de re-torque, consistant à resserrer la vis environ dix minutes après le premier serrage, est également documentée. Ce geste compense le phénomène de relaxation du métal qui survient naturellement après la mise en tension initiale. Cette précaution simple augmente la sécurité mécanique sur le long terme.
Le rôle des matériaux dans la stabilité du serrage
Toutes les vis ne se valent pas, et la science des matériaux influence directement la fiabilité du serrage. Les vis les plus courantes sont en alliage de titane, connu pour sa biocompatibilité, son élasticité et sa résistance à la fatigue mécanique. Pendant longtemps, les vis en alliage d’or ont également été utilisées, car leur moindre coefficient de friction permettait d’obtenir une précharge plus élevée à couple identique. Aujourd’hui, l’innovation se tourne vers des vis dotées de revêtements spécifiques comme le DLC (Diamond Like Carbon) ou des couches céramiques ultrafines. Ces traitements de surface réduisent la friction, optimisent le transfert de torque et améliorent la longévité du système. Ainsi, le choix du matériau et du revêtement n’est pas anodin, il participe activement à la stabilité prothétique.
L’influence du design implantaire et prothétique
Au-delà du matériau de la vis, le design de la connexion implantaire est un facteur déterminant dans la gestion du serrage. Les premières générations d’implants à hexagone externe présentaient une sensibilité accrue aux micro-mouvements et aux desserrages. L’évolution vers les connexions internes puis les connexions coniques de type Morse taper a radicalement amélioré la stabilité. Le principe conique génère un effet dit de « soudure froide » qui renforce la friction entre implant et pilier. Dans ce contexte, le serrage ne repose plus uniquement sur la vis, mais aussi sur l’effet mécanique de la connexion. Ces connexions modernes permettent d’utiliser un couple de serrage élevé en toute sécurité, avec une réduction notable des complications mécaniques rapportées dans la littérature.
Les conséquences biologiques d’un mauvais serrage
Un serrage inadéquat n’a pas seulement des conséquences mécaniques. Il peut aussi avoir un impact biologique autour de l’implant. Une vis mal serrée entraîne des micro-mouvements répétés à l’interface prothèse-implant. Ces micro-mouvements ouvrent la voie à une infiltration bactérienne dans les micro-espaces de connexion. Cette contamination est directement associée à une inflammation des tissus péri-implantaires, avec un risque accru de mucosite puis de péri-implantite. À l’inverse, un serrage optimal assure une étanchéité mécanique qui contribue à la stabilité biologique de la zone. La précision du torque est donc une mesure préventive contre les complications infectieuses et la perte osseuse marginale.
L’importance du reserrage et du contrôle dans le temps
La littérature insiste sur l’importance du re-torque après le premier serrage, mais aussi sur la nécessité de contrôles réguliers. Les protocoles de maintenance implantaire prévoient souvent une vérification du serrage lors des consultations de suivi. En cas de desserrage détecté, un resserrage contrôlé permet d’éviter des complications plus graves. Certaines équipes recommandent l’utilisation systématique de clés dynamométriques numériques, capables de garantir une précision constante dans le temps. Cette rigueur clinique s’impose comme une garantie de longévité des restaurations transvissées.
La comparaison avec les prothèses scellées
La question du serrage prend toute son importance lorsqu’on compare les prothèses transvissées aux prothèses scellées. Ces dernières évitent le problème du serrage, mais introduisent d’autres risques, notamment celui du ciment résiduel, cause majeure de péri-implantite. La tendance actuelle en implantologie est de privilégier les prothèses transvissées pour leur sécurité biologique et leur démontabilité. Cependant, ce choix n’est pertinent que si le serrage est parfaitement maîtrisé. La littérature montre que les taux de complications mécaniques baissent significativement lorsque le protocole de torque est respecté et documenté.
Les innovations récentes et perspectives de recherche
La recherche en implantologie continue d’améliorer la fiabilité du serrage prothétique. Les fabricants développent des systèmes de vis à résistance accrue, avec des alliages hybrides capables de supporter des charges plus importantes sans se déformer. Les revêtements anti-friction poursuivent leur évolution pour garantir une transmission optimale du couple appliqué. Des clés dynamométriques électroniques permettent désormais un contrôle numérique du torque, augmentant la précision par rapport aux instruments mécaniques traditionnels. À plus long terme, certains chercheurs imaginent des systèmes de fixation sans vis, reposant sur des connexions purement mécaniques ou magnétiques, mais ces concepts restent expérimentaux.
Un enjeu partagé entre science et pratique clinique
Le serrage d’une prothèse définitive transvissée illustre parfaitement la rencontre entre rigueur scientifique et précision clinique. Ce geste apparemment simple résume en réalité une somme de connaissances en mécanique, en biomatériaux et en biologie. La science a démontré que respecter les protocoles de torque recommandés par les fabricants, utiliser des matériaux adaptés, appliquer un re-torque et surveiller régulièrement la stabilité de la vis réduit drastiquement les complications. C’est une étape qui ne peut souffrir d’improvisation car elle conditionne la durabilité fonctionnelle et biologique de l’implant. Pour le praticien, cela signifie qu’au-delà de la chirurgie et de l’esthétique prothétique, la maîtrise du serrage est un gage de qualité et de sécurité pour son patient. Pour le patient, cela se traduit par une réhabilitation fiable, confortable et pérenne.
SOURCES :
NOBEL BIOCARE — Prosthetic Torque Guide (fiche fabricant & recommandations de serrage)
Guide fabricant précisant les couples de serrage recommandés pour différents abutments et multi-unit ainsi que les outils et précautions à respecter.
STRAUMANN / MEDENTIKA — Pilier multi-unit (brochure technique PDF)
Brochure technique indiquant les couples recommandés et les instructions prothétiques utiles au laboratoire et au praticien.
PMC — Abutment screw loosening in implants: a literature review
Revue synthétisant les causes du desserrage (perte de précharge, friction, angulation, settling) et les recommandations cliniques pour limiter ce risque.
PMC — Systematic analysis of factors that cause loss of preload in implant screws
Analyse des facteurs (géométrie, lubrification, couple appliqué, usinage) influençant la perte de précharge et la tenue de la vis.
Nature Scientific Reports — Evaluation the loosening of abutment screws (mécanismes de précharge)
Article expérimental expliquant le mécanisme de formation de la précharge et la transformation du couple appliqué en force utile pour la tenue du montage.
PUBMED — A Study on Screw Loosening in Dental Implant Abutment (2025)
Étude récente analysant facteurs cliniques et prothétiques associés au desserrage des vis et proposant des recommandations pratiques pour la prévention.